mardi 20 février 2018

À LA CROISÉE DES CHEMINS

Nous avons tous rencontré des gens qui ont changé notre vie... en bien ou en mal.
C'est le hasard, "La croisée des chemins"
Mon roman a été sélectionné parmi les trente finalistes du Prix des Étoiles Librinova.
Il n'a pas, au final, gagné, mais je vous en offre un petit extrait ...pour vous donner envie de le lire !

Bonne lecture!

https://www.amazon.fr/%C3%80-CROIS%C3%89E-CHEMINS-DOMINIQUE-VIETTI-LETOILLE-ebook/dp/B072PQVHLX/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1519154201&sr=8-1&keywords=a+la+crois%C3%A9e+des+chemins




 1er AOUT 1990

Fatiha ouvre lentement les yeux. Elle est réveillée depuis quelque temps, mais garde les yeux fermés, savourant le silence de la maison et de la campagne autour, à peine troublé  par de lointains appels d'ânes et des piaillements d'oiseaux. Aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Elle est toute excitée. Elle a eu beaucoup de mal à s'endormir la veille au soir. Son père arrive aujourd’hui. Elle ne l’a pas vu depuis plusieurs mois. Et encore, cette année, elle l'a vu deux fois. Il est venu cet hiver quand sa grand-mère, la mère de son père, a été malade et est décédée. Elle connaissait peu cette grand-mère paternelle, c'était une vieille femme qui parlait peu. Ce n'est pas comme son autre Dada qui lui raconte des histoires pleines de génies, de fées et de princesses, qui lui fait des gâteaux à la pâte d'amandes et des crêpes dégoulinantes de miel, même quand ce n'est pas jour de fête. C'est vrai qu'elle en a eu un peu honte, mais elle a été contente que son père vienne, même pour cette triste circonstance.

Aujourd’hui, c'est différent: son père vient comme tous les ans en été et va rester un mois au village. Il vient toujours à la même période, durant le mois d’août. Il lui a expliqué que c'est le mois de fermeture de l'usine où il travaille en France. Fatiha est très fière: son père fabrique des voitures, des voitures neuves, rutilantes, pas comme ces vieux taxis que l'on voit arriver poussifs, chargés de nombreux voyageurs, de leurs sacs, parfois même de leurs moutons. Non, son père lui a expliqué qu'il fabrique des voitures toutes neuves, de toutes les couleurs, des voitures que les gens achètent avec beaucoup d'argent. Peut-être même qu'une année, lui a-t-il dit, il pourra lui aussi acheter une voiture semblable, toute neuve, rouge espère-t-elle, enfin presque neuve, a-t-il précisé. Arrivera-t-il dedans cette année, se demande-t-elle? Ou sera-t-il dans un des nombreux cars qui arrivent d’Europe chargés de ces travailleurs qui reviennent l'été au pays? Elle ne sait pas, sa mère lui a simplement dit qu'il arrive aujourd’hui. Mais sa mère n’en sait pas plus. Sa mère ne sait ni lire ni écrire et, quand une lettre arrive de France, envoyée par son père qui se contente de signer ce qu'un autre plus savant a écrit, elle se précipite chez l'instituteur du village qui la lui lit. Depuis cette année, Fatiha réussit à lire un peu ces lettres écrites en français car elle apprend le français à l'école. Elle commence à le déchiffrer et à le comprendre pour la plus grande fierté de sa mère et même de son père à qui elle a écrit le mois dernier sa première lettre: sa mère a pu se passer de l'instituteur et la lui a dictée.

Elle entend sa mère qui se lève, ses bracelets cliquettent au rythme de ses mouvements. Depuis son enfance, elle entend cet agréable tintement qui la berçait quand elle était enfant ou au contraire qui la réveillait. Depuis que son père est parti travailler en France, sa mère a encore plus de bracelets et de bijoux car il lui en offre chaque été. L'été dernier, pour la plus grande fierté de Fatiha, son père a offert à sa mère une ceinture en or qu'il n'avait pas pu acheter quand ils se sont mariés. Sa mère la porte sur son beau caftan doré et coloré quand il y a des fêtes, des mariages surtout, où chaque femme expose fièrement ses bijoux, symboles d'une réussite souvent synonyme du départ du mari ou du fils à l'étranger.
Fatiha a toujours une crainte secrète, que son père reparte avec son frère à la fin de l'été. Saïd a deux ans de plus qu'elle, donc presque 12 ans. Contrairement à ses parents et à sa grand-mère, elle connait bien son âge et celui de son frère car le village a depuis quelques années un état-civil bien établi. Leur maître leur en a expliqué le fonctionnement et, le jour du marché, du souk, un fonctionnaire vient de la ville. Il s'installe dans une petite pièce de l'école que le maître surnomme pompeusement son bureau, en fait un espèce de débarras où sont déposés les livres de l'école, les cahiers et les quelques fournitures que l'école possède. Le maître y a installé une table, deux chaises et, sur le mur, une carte du Maroc et une photo représentant un château magnifique, le château de Versailles, leur a-t-il dit, qui appartenait, avait-il  ajouté, au roi Soleil, un très grand roi de France. Fatiha l'imagine  éblouissant dans un habit brodé d'or et de pierres précieuses, puisqu'on l'appelle le roi Soleil. 
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vendredi 16 février 2018

Le handicap au quotidien !

Il y a des jours où on explose ! C'en est un...

Je vais sans doute en choquer beaucoup, mais cela m'importe peu.
Avant de juger ou critiquer, il faut vivre les faits, au quotidien, année après année, pour les comprendre. Peu m'importent les critiques !

Le sujet que je veux aborder est le handicap, mental plus précisément. Je pense que le handicap physique pose également son lot de problèmes, même s'ils sont différents.

Je vais égoïstement parler de ma situation, n'en déplaise à ceux qui m'accuseront d'égoïsme et d'égocentrisme et de toutes sortes de défauts.

Je vis depuis ma naissance il y a 63 ans avec une soeur de 14 ans plus âgée que moi, handicapée mentale. C'est à dire qu'elle a les réactions, l'attitude, la réflexion d'un enfant de qq années (difficile à déterminer...même médicalement). Elle parle, lit (comprend-elle? Je l'ignore, des lectures simples, certainement) à force des batailles que maman a pu mener pour lui apprendre le maximum de choses, ce qui a donné lieu à de nombreux affrontements entre elles. Maman disait que c'était sa croix. Elle a tout tenté, pèlerinages, moussems (pour ceux qui connaissent), magnétiseurs, fqihs, psychiatres, rééducation fonctionnelle...

Son grand souci était de disparaître avant ma soeur, ce qui était dans la logique des choses, tout comme papa. Je leur ai toujours promis de m'en occuper, ce que je fait 24h/24 depuis 7 ans et la disparition de papa.

Mais se rend-on compte de ce que c'est de vivre avec une soeur handicapée dont on vous répète à longueur de temps que vous devez vous en occuper "parce qu'elle n'est pas comme les autres"?
Vous imaginez-vous ce que représente le fait, quand vous êtes adolescente, 14 ou 15 ans, et qu'on vous oblige à chaque fois que vous sortez de prendre avec vous votre soeur, de 14 ans plus âgée, et handicapée, donc un tant soit peu "bizarre"? Que vous alliez à la plage, au cinéma, vous balader avec des copines et copains? Conclusion, j'évitais de sortir!
Je comprends, à postériori, ma joie de partir à 16 ans faire mes études en France (j'habitais le Maroc) et cette sensation de liberté, de respirer! Je n'accuse personne , ni mes parents, inconscients de ce que cela représentait pour une ado, ni ma soeur, totalement inconsciente de cet état de fait.

`Et maintenant? Ma soeur est âgée de 77 ans, a les pb de son âge auxquels s'ajoutent les pb aggravés de son handicap. Nombreuses sont les personnes qui s'étaient proposées de m'aider, mais il en reste peu. Certains ont essayé, mais c'est très dur au quotidien !

Tout gérer, tout prévoir... Les médicaments, la toilette. ..
Un pb des plus importants, la nourriture! Limiter la nourriture à quelqu'un qu'on aime, c'est très difficile.
Exemple, nous avons été passé il y a deux ans, quelque temps à Marrakech. Difficile chez des amis, au restaurant, de limiter la nourriture pour ma soeur qui, fine mouche, profite de la présence d'autres personnes pour manger à n'en plus pouvoir. Conclusion, un tel abus de nourriture a abouti (confirmation des médecins) à un AVC...un 31 décembre à Marrakech! Pas simple à régler. Je remercie encore la vieille infirmière de la clinique qui m'a consolée et surtout expliqué que ma soeur abusait, qu'elle mangeait seule quand je n'étais pas là et m'obligeait à la nourrir lors de mes visites !

Je ne parle pas de notre quotidien, il faut tout prévoir, une sortie, un voyage, ne jamais la laisser seule, faire attention à ce qu'elle ne se perde pas, essayer de lui faire comprendre la pudeur (qu'elle oublie parfois), la laver, préparer ses repas même quand on est fatigué, supporter ses réflexions et son mauvais caractère...car on peut être handicapée mentale et exigeante !
Ne jamais pouvoir être seuls, toujours s'occuper d'elle... sans espoir de progrès, sinon, je m'en rends compte, le constat d'une détérioration certaine!

C'est, je n'en doute pas, très égoïste, mais c'est ma réalité quotidienne. Et j'ai de la chance que mon mari l'accepte!!!

Les conseils de patience m'ont été donnés de multiples fois...Les conseils sont toujours faciles! J'ai répondu que j'ai épuisé mon capitale-patience.

Je tremble de laisser ce problème à mes enfants.

Il y a bien sûr la possibilité de la famille d'accueil ou de la maison de retraite. Mais désolée, se pose le problème financier et les aides ne sont pas si aisées à obtenir. Je ne suis certainement pas très douée pour quémander.
Sans parler de l'aspect affectif, culpabilisant par rapport à mes parents de "l'abandonner"!

Je ne demande ni aide, ni conseil.
Écrire m'a fait du bien.

Certes, je ne suis ni soeur Emmanuelle, ni mère Thérésa, mais je demande aux parents qui, au nom de la foi ou de la bonté, acceptent sciemment la naissance d'un enfant handicapé de bien réfléchir au fait qu'ils ne sont pas immortels et qu'ils chargent leur entourage de problèmes difficiles à surmonter et perturbant la vie des plus proches...

Peu importe ce que penseront certains de cette publication. Je parle d'une expérience vécue au quotidien depuis des dizaines d'années et qui peut ne pas paraître charitable ! Mais il est si facile de juger de loin...

Fatiguée !!!