vendredi 29 janvier 2010

Un petit extrait pour vous donner envie de lire ...plus




II                                        2 AOÛT 1990

    Un nuage de poussière entourait le grand taxi qui montait la route qui menait au village.Fatiha qui attendait depuis le matin espérait que ce serait celui qui amènerait son père.Elle se précipita mais elle ne vit descendre que des villageois encombrés de couffins d'osier,de grands sacs qui revenaient de la ville ou d'un souk proche..Elle s'approcha pendant que le chauffeur finissait de vider le coffre d'un chargement de marchandises destinées à la petite épicerie locales:conserves,boissons,surtout du Coca-cola et du Fanta,un baril d'olives,des bouteilles d'huile,des boites de thé vert,des pains de sucre,quelques boîtes de lessive que les femmes utilisaient lors de la lessive hebdomadaire au bord du ruisseau.Fatiha était encore trop jeune pour battre le linge mais elle aimait accompagner sa mère:toutes les femmes du village y allaient le même jour,on échangeait des nouvelles,on se disputait,on travaillait certes dur,mais on riait aussi,les hommes étaient exclus de cette corvée et c'était un des rares moments livrés aux femmes seules.Quand il faisait beau et chaud,cela devenait presque agréable,l'eau était fraîche,Fatiha,ses amies mais aussi leurs mères,leurs tantes et même les vieilles femmes s'aspergeaient comme des enfants.Depuis quelques mois,sa mère lui demandait de l'aider plus activement,en particulier pour essorer le linge,elles se mettaient chacune d'un côté et tordait le linge pour lui extraire le maximum d'eau,et ensuite elle l'étendait sur les buissons.Les vêtements formaient des taches colorées dans le paysage.Un jour,Fatiha avait été étonnée de voir un étranger,un des rares touristes qui montaient jusqu'au village prendre en photo le linge qui séchait.Elle s'était approché de lui curieuse et lui avait demandé ce qu'il faisait.Il parlait un peu arabe et lui avait expliqué que cela ressemblait à un jardin multicolore,à un tableau coloré.Elle n'avait pas compris tout ce qu'il lui disait,mais à partir de ce jour-là,elle s'arrêtait parfois de jouer dans l'eau,s'éloignait un peu et,fermant à demi les yeux,regardait les pièces de linge étendues en imaginant un beau jardin ou une belle photo comme le maître leur montrait parfois dans des livres ou des journaux qu'il possédait.
    Elle demanda au chauffeur qui buvait un thé avec l'épicier avant de repartir et espérant peut-être d'éventuels clients s'il n'avait pas vu son père.
"C'est qui,ton père?"lui demanda-t-il en riant.
"C'est....Abdellatif.Il doit arriver aujourd'hui.Il est grand,bien habillé.Il arrive de France et il a plein de choses pour nous."
"En ce moment,il y a des milliers d'hommes qui arrivent de France avec plein de cadeaux et de paquets."
Devant l'air déçu de la fillette,il ajouta:
"Tu sais,mon taxi était plein,mais il y avait plusieurs hommes qui attendaient à la gare routière.Il sera certainement dans le prochain taxi.Ne t'inquiète pas."
Elle ne s'inquiétait pas,Fatiha,elle avait confiance en son père,elle était simplement impatiente de le voir ...et un peu aussi de voir les surprises qu'il ne manquait pas de ramener chaque été.L'an dernier,il lui avait offert une magnifique poupée qui faisait pâlir d'envie toutes ses copines.Les jouets étaient rares dans le village et souvent les pères qui revenaient préféraient des cadeaux plus utiles pour la maison ou qui pouvaient se vendre facilement.Son père,lui,avait toujours dans ses valises un petit quelque chose pour elle,rien que pour elle,inutile mais tellement précieux.Son frère se moquait d'elle,sa mère trouvait qu'il la gâtait trop.Seule sa grand-mère l'approuvait.Elle lui disait:
"Il me rappelle mon père,mais à une autre époque,on avait si peu de liberté!!!"
    Fatiha retourna à la maison où sa mère s'affairait dans l'attente de l'arrivée de son mari.Cela faisait plusieurs jours qu'elle nettoyait la maison de fond en comble,lavait les tapis,sortaient matelas et coussins.Depuis quelques jours,elle s'affairait à la cuisine,préparant des gâteaux,des dattes,faisant sécher des herbes ou mariner des viandes.Depuis trois jours,elle s'occupait d'elle comme toutes les femmes du village dont l'époux devait arriver.Fatiha les voyait préparer des pâtes qu'elles s'appliquaient sur le corps,les cheveux,le visage.C'était l'occasion de réunions chez les unes et les autres,de chuchotements et de rires entre elles.Sa mère avait teint ses cheveux au henné,leur donnant un beau reflet roux,surtout au soleil.Elle s'était épilée le corps et le visage avec un mélange de sucre et de citron,elle avait agrandi son regard avec la poudre de khôl et dégageait un agréable parfum de rose et de fleur d'oranger.C'est vrai qu'elle était belle,Souad;pas très grande,elle était très blanche de peau avec des yeux presque verts,surtout quand elle était en colère.Elle s'était un peu arrondi ces dernières années,mais n'ayant eu que deux enfants,son corps était resté ferme et elle avait une démarche gracieuse dont les longues robes berbères qu'elle choisissait avec soin même lorsqu'elle travaillait à la maison ou aux champs accentuait le balancement et l'harmonie.Fatiha admirait sa mère et l'enviait,elle qui avait hérité de son père des cheveux et des yeux noirs et une peau mate.Elle avait aussi sa haute taille et son corps nerveux et sec.Sa dada lui disait qu'elle serait encore plus belle,adulte,et qu'elle vieillirait bien mieux,ce  dont Fatiha se fichait complètement.Vieillir?C'était loin,très loin,irréel.En attendant ,elle aurait bien aimé ressembler à sa mère,être moins grande,moins maigre,avoir des yeux clairs et le teint clair de sa mère qui était aussi pâle que la poupée que son père lui avait ramenée de France.

    La poussière annonçait l'arrivée d'un véhicule.Un grand taxi beige!!!Mais oui,c'était bien son père.Ils étaient trois dans le taxi dont le coffre fermait difficilement avec un vieux tendeur bleu.D'habitude,son père prenait un taxi pour lui tout seul ,il avait tellement de choses à rapporter,pour elle,pour son frère,pour sa mère,pour sa grand-mère et même pour les voisins et autres habitants du village!!!Pourquoi cette fois-ci,partageait-il son taxi avec deux autres personnes?La joie de revoir son père lui fit vite oublier ce fait.Sa curiosité aussi...Elle ne connaissait pas les deux compagnons de son père,un homme de son âge,plutôt petit,un peu rond,souriant dès sa descente du véhicule et un garçon,un peu plus âgé qu'elle,qui semblait traîner les pieds et plutôt renfrogné...En tous les cas,ce n'était pas des gens du village,elle les connaissait tous,ils avaient plutôt l'air d'amis de son père,du moins le plus âgé.Elle se jeta en riant et criant dans les bras de son père,bousculant au passage sa mère et son frère qui essaya de lui envoyer un grand coup de coude mais la rata.Son père la souleva de terre en lui disant:
-Mais tu es presque une jeune fille,maintenant!!!et même un peu lourde,rajouta-t-il en la posant par terre.
Il se tourna vers ses deux compagnons et leur dit:
-Bienvenue chez moi et donc chez vous.
C'était une formule  consacrée dans la famille quand on recevait des invités,mais c'était sincère.
Abdellatif prit son ami par le bras et le mena vers la maison.
-Qu'est-ce que je fais des bagages,demanda le chauffeur de taxi,pressé de repartir vers de nouveaux clients.
-Je t'ai payé assez cher et tu m'as assez volé pour que tu les sortes de ta vieille guimbarde.J'envoie mon fils les chercher,répondit son père en se dirigeant vers la maison,toujours au bras de son ami.
Ils entrèrent tous dans la maison que l'obscurité maintenait dans la fraîcheur.Contrairement à la plupart des gens du village,Abdellatif tenait à ce que sa femme et sa fille participent aux repas et à toute la vie sociale de la maison.Fatiha pensait que sa grand-mère avait dû diplomatiquement participé à cette attitude.Mais elle s'en réjouissait surtout quand elle voyait ses amies écartées des repas,des discussions et les amies de sa mère lui raconter leur mise à l'écart de toutes décisions.Malgré toute la joie de retrouver son père et pas seulement à cause des cadeaux qu'elle savait lui avoir apportés,elle lui trouvait aujourd'hui un air différent ,à la fois gêné et satisfait.Bof,n'y pensons plus.Profitons de ce délicieux repas,des gâteaux préparés par sa mère et sa grand-mère,du thé parfumé et même du coca-cola qu'elles avaient acheté pour célébrer ce jour de fête.




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samedi 23 janvier 2010

LES GENS D'AILLEURS


   
        HISTOIRE ,GÉOGRAPHIE ET SOUVENIRS D'ELCHE

ELCHE est une ville espagnole dans la région de Valence et dépendant de la province d'Alicante.Elle est célèbre pour le buste de "La dame d' Elche", statue d'esthétique héllénique datée du -Vème siècle avant J-C, et pour son immense palmeraie.
    Si j'admire la "Dame d' Elche"(j'en aime l'appellation un peu mystérieuse),le souvenir que j'ai d'Elche date de mon enfance.
    Un jour que nous visitions la ville , je m'étonnais de la présence de cette palmeraie en Espagne , moi pour qui palmeraie équivalait à Marrakech . Mon père , très sérieusement , me dit :"Quand les Arabes ont dû quitter la ville , ils ont chacun laissé une graine de palmier avant de partir . Ainsi est née cette palmeraie !"
J'imaginais la scène de ces gens fuyant et enfouissant chacun une graine de palmier pour mémoriser leur longue présence dans la ville . J'ai ensuite connu la réalité historique de cette palmeraie qui est en effet l'oeuvre de la période musulmane de la ville mais qui fut plantée bien avant le départ des arabes . Conservée  , elle est aujourd'hui classée au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Mais , j'ai toujours gardé cette image ... écologique avant l'heure.

   
        ELCHE(ESPAGNE) - année 1265 (663 de l'Hégire)
       
                                                    Je regardais le soleil se coucher derrière la palmeraie . Il fallait partir . Mon père nous avait prévenus . Ma mère Aïcha pleurait , et , mêlant larmes et cris , entassait dans des coffres ce qu'elle ne voulait pas laisser , tout en houspillant les domestiques , Maria , Louisa , ma nourrice , et aussi mes petites soeurs , Nadia et Soraya . Mon père avait beau lui dire qu'on ne pourrait pas emporter grand-chose , elle n'entendait rien , ne voulait rien ècouter . Elle disait à qui voulait l'entendre , (mais qui l'écoutait ?) qu'elle était née ici , tout comme son père et son grand-père et plus loin encore... D'ailleurs , ne disait-on pas qu'ils étaient des "elches" , des chrétiens qui , il y a longtemps , très longtemps , s'étaient convertis à l'islam .
- Ne peut-on pas rester ? Où va-t-on aller ?
    Son frère qui habitait Alicante avait pris la décision de rester .
- Oui , lui , il reste , répondait-mon père . Mais il est marié à une Chrétienne . Ce sera plus facile pour lui !
- Mais où va-t-on aller ? répétait-elle .
- J'ai des places sur un bateau de pécheurs qui traversent la mer , vers le royaume almohade . J'y ai des relations avec des marchands avec qui je commerce . On m'a parlé de Fès où un certain nombre d'entre nous se sont déjà installés .
    Ma mère se lamentait , protestait , implorait . Mais mon père était inflexible . On prenait ce qu'on pouvait emporter , le plus précieux , et on partait , vite avant que les soldats chrétiens ne s'emparent de la ville.
    Certains de nos amis ou de nos voisins venaient nous voir . Chacun discutait , palabrait . Les avis et  les décisions variaient . Les plus nombreux  se préparaient à partir vers le sud , les uns au delà des mers comme nous , d'autres vers Grenade , toujours musulmane : ils refusaient  de quitter leur terre natale , l'Espagne , Al Andalus de leurs ancêtres , espérant revenir peut-être un jour dans leur ville .
    Les moins nombreux , et souvent les plus pauvres , avaient choisi de rester , espérant pouvoir conserver leur peu de bien et , peut-être , leur religion . De cela , mon père doutait .
    Quelques-uns , conjoints de chrétiens qui refusaient de partir , essayaient de faire comme s'ils  ne risquaient rien ou pas grand-chose .
     Les familles juives étaient partagées . Elles hésitaient , ne sachant quelle était la meilleure solution , tiraillées entre les arguments des uns et des autres . Un grand nombre d'entre elles nous suivaient dans l'exil , nos voisins en particulier . Ma mère pour qui retrouver Hannah , son amie de toujours , à Fès , était une petite consolation , s'en réjouissait .
-On ne sera pas complètement isolé chez ces étrangers . On va même pouvoir faire le voyage ensemble , Hannah , lui disait - elle .
    Le chemin de l'exil est toujours une route que l'on préfère partager


    Et moi,qu'allais-je décider ? Je venais d'avoir 20 ans et ,  depuis l'âge de 14 ans , j'étudiais la médecine avec un praticien installé en ville depuis quelques années et qui avait fait ses études en Orient , d'où il avait ramené des ouvrages indiens , perses, et même chinois . Il s'était aussi rendu  en Occident , à Salamanque , à Montpellier , à Toulouse . Il se disait disciple d'un médecin que les Arabes appelaient Ibn Sina et les Chrétiens , Avicenne . Il m'avait initié à ses théories et je commençais à avoir une certaine réputation dans la ville : on faisait de plus en plus souvent appel à moi pour soigner quelques maux pas trop graves.
    Mon maître avait choisi de rester à Elche .
- Les hommes ont toujours besoin d'un médecin , surtout pendant les guerres , après les batailles . Notre rôle est de soigner , sans regarder d'où vient celui qui souffre . Je suis trop vieux pour partir . Je ne me vois plus sur les routes .
- Et si les Chrétiens t'obligent à renier ta foi ?
- Je crois en Dieu , quelque soit le nom qu'on lui donne .Et , j'aimerais tant croire en l'Homme ... Mais toi , tu es jeune et vigoureux . Tu devrais partir ,  voir le monde , étudier . Il y a des universités célèbres , loin , au-delà des mers .

    Je réfléchissais , j'hésitais . Je n'avais jamais aimé faire comme les autres.
    Rester ? C'était risquer l'humiliation , peut-être même la prison ou la mort . Je n'étais pas un martyr , je n'avais pas envie de mourir , je voulais vivre , voir le monde , connaître les autres  .
    Partir avec ma famille ? C'était rester dans le cocon de la maison , voire abandonner la médecine pour devenir commerçant comme mon père et ses frères . Je n'avais pas suffisamment de connaissances pour m'établir comme médecin , j'avais encore tellement de choses à apprendre .
    Le disque d'or finissait sa course derrière les palmiers . Il jetait ses derniers rayons et embrasait la palmeraie . Tant d'hommes l'avaient admiré ou craint , aimé ou haï . Je le regardais quand tout à coup la vérité m'apparut , toute simple , évidente , lumineuse : j'allais partir ... oui ... Mais  prendre un autre chemin d'exil , partir vers le Nord , vers les royaumes chrétiens , les traverser , franchir les montagnes dont mon maître m'avait parlé . Ces montagnes pendant longtemps ont constitué la frontière et le monde chrétien et le monde musulman.
    J'allais rejoindre le royaume des Francs et me rendre dans une ville qu'il m'avait souvent citée comme possédant une grande université où l'on enseignait l'histoire , la géographie , la philosophie , l'astronomie , les mathématiques , la musique , la médecine et bien d'autres sciences . Il y avait de grandes bibliothèques . Dans ce collège que venait de fonder un prêtre du nom de Sorbon , on l'avait bien accepté lui , l'étranger , comme étudiant , mais aussi comme enseignant . On m'accepterait moi aussi comme étudiant . Peut-être , pourrais-je leur apporter des connaissances nouvelles et surtout apprendre . Les sciences , m'avait enseigné mon maître , n'ont pas de frontières , pas de religion et sont basées autant sur l'expérience que sur   l'apprentissage et les échanges entre les hommes .
    J'avais pris ma décision .  Il me restait à l'annoncer à ma famille , à ma mère surtout . J'entendais ses lamentations,  ses pleurs , ses arguments aussi .
    -Partir là-bas ! Chez les Francs ! Ce sont des régions de sauvages , sans civilisation , sans foi ni loi !
    Elle n'y était jamais allée , mais elle savait , affirmait-elle . Elle avait entendu  son grand-père dont le père avait fait un voyage au-delà de ces montagnes qu'on appelle les  Pyrénées . Il y vivait des gens qui non seulement n'avaient pas la même foi ( cela me ne paraissait pas si important) , mais aussi qui ignoraient la poésie , qui étaient vêtus de peau de bêtes , qui vivaient dans des cabanes de bois , qui ne se lavaient pas , se battaient violemment et qui , son grand-père le lui avait raconté maintes fois , ne connaissaient pas la médecine , coupaient jambes et bras sur les champs de bataille à leurs propres soldats quand ceux-ci étaient blessés,sans même les endormir...
    "Justement ,  lui répondis-je , je pourrais leur enseigner les savoirs que mon maître m'avait transmis ." 

Il m'avait dit , aussi , que dans les villages et plus particulièrement dans des lieux appelés monastères , où vivaient des religieux et des religieuses , des femmes et des hommes connaissaient les vertus des plantes , des simples et préparaient des lotions , des onguents , des cataplasmes qui soignaient , qui soulageaient . Je rêvais d'apprendre et d'échanger des connaissances...
    Nos religions différentes ? J'en balayais l'argument . Mes ancêtres lointains n'étaient-ils pas des Chrétiens , de ces Wisigoths qui , il y a des centaines d'années , s'étaient installés en Espagne ? Ne racontait-on pas , dans la famille de mon père , l'histoire de cette grand-mère si belle qui était juive ? Quelle importance , ces pratiques religieuses différentes ? Je partirais.


 BANLIEUE PARISIENNE - 2010

                " Les informations de 7 heures.
Nuit d'émeutes dans certaines cités de la banlieue parisienne à la suite d'une poursuite entre jeunes et policiers . Bilan : 3 blessés graves dont un policier et une dizaine d'arrestations dont 4 mineurs .
    Au Proche-Orient , regain de tension : Palestiniens et Israëliens semblent dans l'impasse malgré les efforts de conciliation des missions américaine et européenne .
    Grève sur la ligne 4 du métro après l'agression d'un contrôleur .
    La météo aujourd'hui : le printemps s'annonce timidement , autour de 12°dans le nord , de 14 à 16° dans le Sud . Notre prochain flash à 7h30 " .

    Je me retournais dans mon lit : il fallait que je me lève . Je devais être au magasin avant huit heures trente . Il fallait remplir les rayons avant l'ouverture . J'avais travaillé tard hier au soir . Les cours du soir m'imposaient un rythme que j'avais parfois du mal à tenir .
    J'avais téléphoné à mes parents avant de m'endormir . J'avais beaucoup parlé avec ma mère . Mon père se couchait tôt : le travail à l'usine l'avait prématurément usé et il était souvent fatigué . Ma mère m'avait parlé de leur voyage prochain au pays . Mon père aurait aimé repartir y vivre , mais elle voulait rester avec ses enfants , surtout mes petits frères qui ne travaillaient pas et qu'elle essayait de surveiller , tant bien que mal . Et puis moi , je n'étais pas mariée , à 23 ans , elle se désespérait ...
    Je me levais , j'avais fait un drôle de rêve . Elche ! C'est vrai que j'avais lu  hier soir un article sur la Dame d'Elche , dans le cadre d'un cours sur l'Antiquité Méditerranéenne . C'était étrange , ce rêve ...
    Le téléphone sonne . Je décroche .
-Allo  , Aïcha ? Salut , c'est Mina ! ça va ? Tu as l'air bizarre !
- Non , ça va ! J'émerge !

    Les choses n'ont guère changé , les migrations des hommes se poursuivent , flux et reflux  provoqués par la misère , les guerres , l'intolérance . Le progrès ne profite qu'à certains et en laisse beaucoup sur le bas-côté , beaucoup trop !
    Comprendra-t-on un jour?
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vendredi 15 janvier 2010

L'ENFANT ET LES ROSES D'HAÏTI







    Je ne pouvais pas , en habitant la République Dominicaine , rester insensible au drame que vit actuellement Haïti.Un drame qui nous jette au visage une situation aggravée par les conséquences du séisme mais dont on a totalement oublié l'existence parce que préoccupés par nos "autres problèmes": la crise , le chômage , l' augmentation ou la baisse du prix du pétrole , l'inflation ,  les faillites des banques , le prix des fruits et légumes , la grippe , notre mal-être ....
    Car l'extrême pauvreté d'Haïti , que des milliers d'images et de reportages nous dévoilent , c'est bien avant qu'elle existait . Avec cette catastrophe , les médias ,  parfois d'une façon un peu voyeuriste , nous l'exposent .Pour combien de temps ? Jusqu'à ce qu'un autre événement reprenne la une des médias !
     Et on oubliera . De temps à autre ,on nous diffusera un reportage nous indiquant de quelle façon la reconstruction se fait ou ne se fait pas , si on a bien ou mal utilisé "notre argent " .Et la misère haïtienne poursuivra son chemin... et nous le nôtre...et,moi , très égoïstement , le mien ...et quelque part , j'en ai un peu honte .Je sais que tout le monde n'est pas Mère Thérésa ou Soeur Emmanuelle , et c'est bien dommage qu'il n'y en ait pas davantage !

    Cette histoire n'est ni totalement vraie ni totalement imaginée . Je la crois tout simplement et malheureusement réaliste . Je ne me pose nullement en spécialiste , je connais à peine Haïti , je voudrais simplement que ce soit un hommage très humble aux enfants des pays pauvres .

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                L'ENFANT ET LES ROSES D'HAÏTI

    Je suis né il y a 13 ou 14 ans .Bien sûr, je ne m'en rappelle plus , mais les autres non plus . Il n'y a que la facture de l'hôpital qui soit là pour se souvenir de ma date de naissance . Ma mère doit l'avoir peut-être quelque part , cette facture , mais moi je n'ai plus ma mère.

    En fait , pour moi ,même si je n'en ai aucun souvenir , ma naissance , je considère que c'est mon arrivée dans les bras de celle que j'appelle maman.Je devais avoir 2 ou 3 mois . Mon père avait plusieurs femmes . Mais ça , c'est courant et c'est finalement moins hypocrite que dans d'autres sociétés . Tout le monde le sait , les femmes , les hommes bien sûr , les enfants le savent. Et ça ne nous traumatise pas.On n'a guère le droit au luxe des traumatismes psychologiques .

    Donc , mon père , certes polygame mais réaliste , a décidé que ma vraie mère , celle qui m'a donné naissance , n'était pas faite pour s'occuper de moi . Il devait avoir ses raisons . Il m' a donc confié à une autre de ses compagnes . Pas plus riche que les autres , pas plus favorisée . Elle a pris comme son enfant le petit bébé que mon père lui apportait . C'est elle , ma mère .
    Ce qui est drôle , c'est que moi , je connais l'histoire de ma naissance .Pour moi, ce n'est pas un drame mais au contraire une chance que d'avoir eu cette femme comme vraie mère .Elle pense que je ne connais pas la réalité et elle s'est toujours acharnée à me la cacher . Jamais elle ne m'a dit que je n'étais pas son fils . Quand elle a eu d'autres enfants , il n' y a eu aucune différence avec mes frères et soeurs , ni dans les câlins , ni dans la gentillesse , ni dans la nourriture ...quand il y en avait .
    On ne vivait pas dans notre pays  , mais cependant dans la même île  . Il est vrai que c'était parfois un peu compliqué .    
D'abord , pour la langue .
    Chez moi , on parlait créole , avec mon père , ma mère , mes frères et soeurs , mes cousins , cousines , oncles et tantes et tous les autres haïtiens de la communauté .
    A l'école , car mon père nous avait inscrit dans une école haïtienne , on parlait français avec le maître , un vieil instituteur qui essayait de nous enseigner le français , puisque c'est la langue officielle de Haïti . Il le faisait très consciencieusement , avec les moyens qu'il avait et qui étaient très sommaires : quelques vieux livres , quelques cahiers . De temps en temps , de jeunes étudiants haïtiens passaient et nous donnaient quelques cours , puis ils repartaient vers d'autres lieux : ils nous parlaient d'universités étrangères , de grandes villes d'Europe ou des Etats-Unis ... Bref , ils nous faisaient un peu rêver ...ça ne fait jamais de mal , le rêve ..Le problème , c'est quand  ça vous envahit .  ll vaut mieux éviter  ou se donner les moyens de les réaliser.Pas toujours facile pour nous , même en le souhaitant très fort.
 Donc , on parlait un peu le français , que l'on apprenait aussi à lire et à écrire . Mon père voulait que l'on fasse des études , plus tard .Lui savait lire et écrire , pas ma mère , et il disait qu'à Haïti , c'était une des choses qui fonctionnait le mieux , l'école . De toutes les façons , c'était la seule école que l'on pouvait fréquenter parce que , sans papiers officiels  , on ne pouvait pas être inscrit ailleurs . Là , au moins , on était tous dans le même cas .
    Et il y avait une troisième langue que l'on parlait , dans la rue , avec nos copains , avec les voisins , avec les commerçants : c'était l'espagnol , c'était , je  crois , la langue que je pratiquais le mieux . C'était celle dont j'avais le plus besoin pour m'amuser avec les gamins de mon âge ! et j'en avais des copains ! O h , c'est vrai , on n'avait pas de jouets , ou très peu , mais on s'en fabriquait avec des branches , du caoutchouc , des objets que l'on récupérait .Et on s'amusait bien ,la plage était tout à côté ,  on faisait des bêtises comme tous les autres enfants , de temps en temps , on se faisait attraper par un adulte ,mais on recommençait ! comme tous les enfants ! On était très solidaires .
    Après la langue et l'école , l'autre problème , c'était le logement et la nourriture . Mais je reconnais que mes parents se débrouillaient assez bien . Ils travaillaient tous les deux , de façon assez régulière , le plus souvent dans les hôtels fréquentés par de nombreux touristes ou dans les maisons des étrangers qui les employaient comme femme de ménage ou jardinier . D'ailleurs , mon père était jardinier  le plus souvent , même s'il a exercé d'autres métiers , comme manoeuvre ou maçon ou gardien .Mais son principal métier , c'était jardinier .C'est lui qui m'a fait découvrir les fleurs et en particulier les roses .Ce n'est pas une fleur très courante sous nos latitudes mais pourtant c'est une plante robuste qui pousse assez facilement et surtout qui fournit des fleurs colorées à toute saison (il paraît que c'est différent dans les pays froids ) Mais , ici , les roses fleurissent toute l'année . Je ne sais pas pourquoi , c'est devenu ma fleur préférée .Et oui , moi , un garçon , j'aimais une fleur .Mon père a ramené des boutures de rosiers d'un jardin qu'il entretenait et les a plantées.Plusieurs rosiers ont alors poussé dans notre jardin .Car nous avons un jardin .En fait , nous occupons une maison en construction sur la plage . Non , on ne la squatte pas , mon père s'en occupe , il en est le gardien : c'est nous qui empêchons  d'éventuels squatters de s'y installer ! D'accord , on est nombreux car mon père a plusieurs cousins qui sont venus nous rejoindre  . Moyennant un petit loyer , ils vivent là .Normal , le petit loyer , c'est mon père qui est responsable . Et puis , on leur offre un toit , c'est important quand il pleut , on a un accès à l'électricité , un petit branchement qui fonctionne évidemment quand il y a de l'électricité , on a de l'eau , et on est au bord de la plage .Il y a bien pire ! Donc , mon père a aménagé un petit jardin avec des boutures de plantes qu'il a prélevées ailleurs ou qu'il a cueillies dans la campagne .Tout pousse facilement ici , on a des bananes (cela évite d'en acheter  et on en consomme beaucoup , sous toutes les formes , cuites , frites , crues  ), des papayes , on a même quelques pommes de terre et des poules .Bon , ça , ça ne pousse pas mais c'est bien pratique à manger de temps en temps ...et , en plus  , on a aussi quelques oeufs !
    Mais moi , ce que je préfère , ce sont les rosiers .J'aime les regarder , toucher les pétales des fleurs en faisant attention à la tige parce que c'est rempli de piquants . Mon maître , à l'école , m'a  dit que les roses exhalaient un délicieux parfum . J'ai essayé de les sentir , les nôtres , mais , le parfum est très léger , encore que , en reniflant très fort , on peut en sentir l'odeur un peu sucrée. D'ailleurs , cela fait bien rire mes copains quand ils me voient sentir les roses . Ils me demandent si je suis enrhumé !
    Moi , les roses , ça me fait rêver , voyager loin , très loin .C'est mieux que sniffer de la colle ou de la poudre . J' ai interrogé  mon instituteur . C'est vrai qu' il est souvent ma référence , il connaît beaucoup de choses  .
Parfois,je m'adresse au curé qui nous aide pour certaines démarches administratives . Je me suis dit que , pour les roses , il valait mieux demander au vieux maître . Le curé allait encore me parler de la création du monde , du jardin d'Eden , du Paradis , d'Adam et d'Ève ...Moi,je voulais juste parler des roses et je n'avais pas envie d'un cours de catéchisme.Une fois , cependant , j'ai apporté des roses à l'église , pour Noël . Cela a fait plaisir à maman et au curé.
     Mon vieil instituteur m'a donc raconté , en réponse à mes questions sur les rosiers ,que , dans de très lointains pays , les roses poussaient par centaines, tiens , un peu comme les palmiers et les bananiers chez nous .L'air y est parfumé par leur senteur comme dans un conte de fée .  Il m' a d'ailleurs prêté un de ses livres , un vieux bouquin qu'il m'a confié précieusement comme si c'était un trésor . J'ai apprécié son geste car il n'a pas beaucoup de livres ni beaucoup d'argent pour en acheter . Il en prête  rarement .  Il m'a  prêté un livre de contes que je ne connaissais pas en m'assurant que c'était un des livres plus célèbres au monde .Cela s'appelle "Les contes des Mille et une nuits ".Je lui ai même dit :"ça en fait du temps,mille et une nuits !".Cela l'a fait rire . Je ne l'ai pas tout lu , c'est bien trop long et je ne lis pas très vite . Mais j'ai bien aimé la princesse Schéhérazade , les génies , les magiciens et surtout Aladin , Ali-Baba et Sinbad le marin . Je me voyais bien en aventurier sauvant la princesse et ramenant tout un trésor !!! Cela aurait été bien ...pour ma famille et surtout ma mère ..Mais enfin , ce n'était qu'un rêve qui m'a fait du bien .Un jour , à la télévision (et oui , nous avons la télévision, comme beaucoup de pauvres ,c'est notre fenêtre ouverte sur le monde ) , j'ai reconnu les aventures d'Aladin . J'étais fière de mes connaissances ce jour - là . J'en ai parlé au maître qui m'a dit : "Tu vois , l'école sert toujours ,même pour regarder la télévision ". Je ne lui ai pas dit que tout le monde a râlé ce soir-là devant la télévision ( et nous étions nombreux )parce que j'ai raconté la fin de l'histoire avant que le film ne s'achève . J'ai compris ensuite que je leur avais ôté le plaisir de la découverte.
    Donc telle était ma vie dans la petite ville dominicaine où nous vivions , jusqu'au jour où mon père me prévint que j'allais partir vivre à Haïti . Mais pourquoi donc ? J'étais bien ici , avec mes frères et soeurs .Ils étaient plus petits que moi , je m'en occupais .Quand maman travaillait , je leur faisais la cuisine , je les gardais .J'avais mes copains , je connaissais tous les coins et recoins du village . S'il voulait , je pouvais travailler comme nombre de mes copains .Des petits boulots , il y en avait plein pour nous les  enfants . Je venais d'avoir 13 ans . J'étais grand . Je n'allais à l'école , quand elle était ouverte , que le matin . Je pouvais travailler dans un atelier , dans un super-marché , dans une maison , dans un jardin .Je pouvais même cirer des chaussures comme beaucoup d'enfants de mon âge , porter des commissions .Il y avait des tas de choses que je pouvais faire . Je ne voulais pas partir , je ne voulais pas laisser ma mère , mes frères et soeurs , ma "maison" , mes rosiers .Oui , je pensais à mes fleurs quand mon père m'annonça sa décision .
    Mais rien n'y fit , ni les larmes de ma mère , ni mes cris et protestations , ni mes propositions pour rester .
Mon père me dit qu'il voulait que j'aille à l'école à Haïti , que cela lui paraissait la seule possibilité pour moi d'étudier . J'eus beau lui dire que je ne parlais pas assez bien le français , que je voulais continuer à vivre ici . Il ne céda pas .Je pense qu'il était sincère dans sa volonté de me voir faire des études . Mais la réalité a été tout autre .
    Je suis parti avec lui , avec mes quelques affaires dans un petit sac . Ma mère y joignit un petit paquet de gâteaux , le vieil instituteur un crayon et moi , sans rien dire à personne , je coupais quelques branches de rosiers , bien décidé à les planter dans mon nouveau lieu de vie . J'avais du mal à dire mon pays car je ne m' y étais jamais rendu . Nous prîmes le car qui nous mena à Port au Prince après plus de 10 heures de voyage . Comme je n'avais pas de papiers , mon père dut glisser quelques billets pour que je puisse passer .
    Mon père avait décidé que je vivrais chez une de ses femmes qui avait trois enfants qu'on me présenta comme mes petits frères . Je me suis retrouvé dans un quartier de petites maisons de bois et de tôle qui bordaient des ruelles boueuses .A ça , j'étais habitué .
    Ce qui me changea le plus , ce fut la grande ville qui m'entourait . Deux ou trois millions de gens dans une ville à la croissance anarchique , dont la plupart des habitants survivaient sans savoir de quoi demain serait fait .
    Le problème de la nourriture était essentiel .Je connaissais ce genre de problèmes , j'avais été éduqué à faire attention depuis mon plus jeune âge .Mais nous avions toujours eu à manger , parfois moins , parfois un peu plus , mais on se débrouillait . On avait quelques fruits ou légumes dans le jardin . On ne mangeait pas souvent de la viande , le riz et les pommes de terre étaient notre quotidien avec quelques bananes , des avocats , des mangues ou des papayes suivant la saison et que l'on "trouvait" dans la campagne toute proche .En général , on n'avait pas faim .
Je fus d'abord un peu ébahi par cette métropole, mais très vite , je regrettais ma petite ville . Ma mère , mes copains , mes petits frères et soeurs  me manquaient . Mon père ne resta que quelques jours  et repartit . Il m'inscrivit avant de partir dans une école puisque c'était le but de ma nouvelle vie . Je me sentais étranger au milieu de mes nouveaux compagnons , je parlais mal le français qui était la langue d'enseignement , pas trop bien le créole et répondais souvent en espagnol  que peu comprenaient .
     La "femme de mon père " n'était pas une mauvaise femme mais elle avait bien des problèmes pour faire vivre sa maisonnée . Elle considéra vite que l'argent que mon père lui avait laissé pour moi et celui qu'il lui envoyait de temps en temps était très insuffisant . Il fallait que je travaille  pour manger tous les jours et aussi pour l'aider .
    Dès mon arrivée , j'avais planté mes boutures de rosiers devant la baraque qui nous servait de maison . Elle avait regardé avec méfiance ces tiges vertes qui , je l'avais prévenue , ne se mangeaient pas .Puis elle avait paru intéressée par les premières fleurs . Elle travaillait comme domestique dans une grande maison bourgeoise et avait eu l'idée , non désintéressée , d'apporter quelques roses , parmi les plus belles , celles que je préférais , un peu orangé , à sa patronne . Cela plut à "la dame " qui en réclama de temps en temps , quand elle avait des invités .
Elle décida donc que je vendrais mes fleurs pour payer ma contribution . Après tout , j'aurai pu avoir un travail plus difficile . Beaucoup de nos voisins envoyaient leurs enfants trier les poubelles ou travailler dans des fabriques ou dans des ateliers sombres plus de 10 heures par jour . Mon travail consistait à m'occuper de la pousse de mes rosiers et à vendre les fleurs . On a vite été obligé de mettre du fil de fer barbelé autour de notre petit bout de terrain et finalement de prendre un chien trouvé à moitié mort de faim  dans la rue . On l'attachait près de la maison pour qu'il empêche les intrus de  voler nos fleurs.A charge pour moi de le nourrir.Je fus donc obligé , comme mes petits voisins , de chercher dans les détritus qui jonchaient les sols de notre quartier de quoi nourrir le chien . Je m'attachais au chien et parfois je restais avec lui à parler en lui racontant des histoires , n'importe quoi , ce qui me passait pas la tête , juste pour avoir l'impression d'avoir un ami . Je l'appelais le gardien des roses et moi , j'étais le chef des roses . C'est ce que je lui disais : " Toi,tu es le gardien et moi ,je suis le chef !"
    Notre petit commerce de fleurs était fragile comme les roses mais nous permettait de survivre . Mais il finit par me prendre tellement de temps que je n'avais plus le temps d'aller à l'école . Il fallait soigner mes rosiers pour pouvoir vendre quelques fleurs , il y avait des jours sans fleur , d'autres avec trois ou quatre , rarement plus ;
    J'avais quelques clientes habituelles qui me les achetaient ...quand j'en avais .Il y en avait une en particulier qui travaillait dans une administration du centre-ville où j'avais compris que les roses se vendaient le mieux . Elle m'appelait le gamin aux roses .Elle n'était pas très riche , mais suffisamment pour s'offrir quelques roses pour quelques gourdes de temps en temps . Elle savait où je me tenais le plus souvent . Elle passait me voir et me disait :"Demain , mon amoureux vient chez moi . Tu pourras m'apporter quelques roses ?"
    Je me débrouillais toujours pour qu'elle en ait . Elle me donnait quelques pièces , parfois un bonbon ou un petit gâteau sec , et toujours une petite caresse sur la tête . "Tu me fais penser à mon petit frère.Il est parti vivre aux Etats-Unis avec son père.Cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu!"ajoutait-elle avec un petit air triste.
    J'avais envie de lui répondre qu'elle me faisait penser à ma mère ,mais j'avais peur de la vexer et qu'elle pense que je la trouvais vieille.Non , c'est juste qu'elle avait le même sourire et le même air gentil .Je me contentais de lui dire "Merci ".
    La vie continuait , que seuls les roses et mon chien égayait . Je me prenais à rêver d'un vrai jardin . J'avais lu qu'on appelait les jardins de roses , des roseraies.Une roseraie avec plein de fleurs que je pourrais vendre à toute la ville , enfin à tous les riches habitants de la ville.Peut-être que je pourrais même en vendre dans tout le pays , dans toute l'île et même à l'étranger,en Europe , aux Etats-Unis . Je voyais le nom de mon entreprise"Les Roses d'Haïti" , en grandes lettres , orangé ,sur mes camions , avec un magnifique dessin de rose . On a beaucoup d'artistes peintres dans notre pays . J'en trouverais un qui me fera un magnifique dessin représentant une rose aux pétales de velours si doux qu'on aurait envie de les toucher .Elle sera rouge ou jaune ou rose ...Je ne sais pas encore..
    Assis sur mon petit morceau de trottoir , là où mes clientes savent me trouver quand elles rentrent chez elles , vers 5 ou 6 heures , en fin de journée , après le travail , je rêvais quand j'entendis un grondement sourd .De la poussière , des cris ,les maisons qui tremblent , la cathédrale qui vacille , mes roses ,je n'en ai pas beaucoup aujourd'hui , j'ai une réservation ,je ne dois pas les lâcher !!!

    Plus rien , plus d'enfant aux roses ,  et au milieu des gravats , une rose ,  rescapée , posée là comme une tâche de sang .


   

mercredi 6 janvier 2010

LA VIEILLE FEMME ET LES DEUX ÂNES



    Ils vivaient dans la même ferme depuis de nombreuses années . Ils étaient , l'enfant et le petit âne , nés à peu près à la même époque , les paysans se souvenaient , l'année de la grande sécheresse . Ils avaient même été étonnés de voir la vieille ânesse mettre bas , ils la croyaient beaucoup trop âgée pour ça . Elle avait donné naissance à un petit âne gris dont on s'était demandé pendant longtemps s'il allait vivre . La vieille ânesse s'était battu pour qu'il vive , parce que , cette année - là , il faisait trop chaud , trop sec , pour qu'on puisse l'aider .  Seule une vieille femme que l'on considérait un peu comme une sorcière les avait nourris , encouragés , soignés . 

    Cet été - là , les paysans avaient bien d'autres problèmes : il fallait aller chercher l'eau de plus en plus loin , le puits de la ferme était tari et la rivière était à sec . Le peu d'eau disponible sur place grâce à un pompage dans la nappe phréatique était réservé au fonctionnement et aux besoins du maître et de sa famille .  L'eau que l'on ramenait de plus loin était d'abord destinée aux cultures et aux maraîchages dont on vendait les récoltes . Ensuite , on la distribuait au bétail productif , les vaches qui donnaient du lait ,les petits veaux qu'on voulait vendre quand ils auraient pris un peu de poids , les moutons dont on couperait la laine et vendrait la  viande , les deux ou trois cochons que le maître élevait pour ses besoins personnels , les poules qui pondaient les oeufs que la famille du maître consommait frais , les lapins que l'on élevait pour un magasin de la ville qui les proposait à sa clientèle . Il y avait des priorités économiques !
    L'eau qui restait , quand il en restait , était "généreusement" distribuée aux paysans . Il y avait de nombreux  jours sans eau .  Celle qu'on avait , on l'économisait . On la buvait d'abord , même quand elle n'était pas vraiment potable . Contrairement à ce que le médecin conseillait , on ne la faisait plus bouillir quand on s'était rendu compte qu'on en perdait un peu avec l'ébullition . Il y eut de nombreux enfants qui ne virent pas la fin de l'été . C'était la vie .   
     Pourtant , malgré ces difficultés , le petit âne gris survécut et grandit . On soupçonna la vieille sorcière de lui donner quelques potions magiques pour lui permettre de vivre . Le fait est qu'on la voyait souvent se promener avec la vieille ânesse et son ânon , bavardant , semblait-il , avec eux . Elle discutait , faisait de grands gestes , riait et paraissait heureuse . Mais on ne s'en préoccupait pas . On avait bien d'autres problèmes et puis , il faut le reconnaître , on en avait un peu peur . Il y en eut bien qui dirent que ce n'était pas normal qu'ils aillent aussi bien tous les trois alors que les autres souffraient . Peut-être avaient-ils découvert une source ? une fontaine cachée ? Il y en a qui ajoutèrent que la vieille sorcière avait découvert le moyen de fabriquer de l'eau , ce qui fit bien rire le maître quand on le lui rapporta . Elle ne leur prenait rien ? Certes pas , on ne lui donnait rien ,de toutes les façons ! "Et bien , dit-il , laissez-les vivre en paix .Ou allez lui demander son secret de la fabrication de l'eau . "ajouta-t-il en riant . Ils avaient bien trop peur et les laissèrent en paix .

    La fin de l'été fut difficile , même si un événement heureux dans la famille du maître survint : la naissance d'un petit garçon qu'on attendait depuis si longtemps qu'on désespérait de le voir arriver . Le maître et la maîtresse n'étaient plus très jeunes et n'avaient pas d'enfant . Ce fut un grand bonheur pour la ferme et ses habitants . Le maître était tellement heureux qu'il distribua de la nourriture et décida que l'eau serait un peu mons rationnée pour les paysans . Il faut dire qu'on arrivait à la fin de l'été et qu'on pouvait espérer de la pluie pour bientôt . C'était une toute petite générosité de la part du maître . Il ne prenait pas trop de risques en distribuant un peu plus d'eau .Mais de cela , les paysans ne se rendirent pas compte et ils se contentèrent de louer la bonté du maître et de bénir le petit garçon enfin né .

    Le jour de la fête , la vieille sorcière , accompagnée de l'ânesse et de son ânon , se présentèrent au repas . Les paysans la regardèrent avec méfiance et attendirent la réaction du maître pour s'y conformer .

    -Le bonjour à tous . Pouvons-nous nous joindre à votre fête ?

    Les maîtres étaient tellement heureux qu'ils demandèrent aux convives de lui faire une place . Elle s'assit près du berceau , les deux animaux derrière elle.

    -Ils ne te quittent jamais?
    -Non , nous formons une vraie famille . Ils ont compris que , sans moi ,ils ne seraient plus de ce monde .
    -Que vas tu en faire ?
    -Ce que l'on fait avec sa famille : m'en occuper .
    -Qu'attends - tu d'eux ?
    -On n'attend rien de sa famille , on les aime .Qu'attends - tu de ton fils ?
    -Qu'il m'accompagne , qu'il m'aide , qu'il me soutienne .Mais tu ne vas pas comparer mon fils à ton petit âne ?
    -Je ne me permettrais pas ! Moi , mes ânes , je me contente de les aimer et je pense qu'ils m'aiment aussi . Je ne leur demande rien .
    -Tu  n'es pas seulement une sorcière ,tu es aussi d'une grande sagesse . Je ne savais qu'il y avait de véritables philosophes parmi mes paysans .
    -Je ne suis pas un de tes paysans , comme d'ailleurs aucun des invités ici présents ne t'appartient . Chacun est libre de disposer de sa vie , les hommes comme les animaux . On ne possède rien ni personne , on est juste les dépositaires , le temps de notre vie , d'une petite partie d'un tout que constitue la nature et ses habitants .
    Elle se leva et montra d'un geste large le monde qui les entourait .
    - C'est notre bien , notre passé , notre présent , notre avenir ,notre liberté . nous devons le préserver ,  juste prélever ce dont nous avons besoin , pas plus .Tu vois , c'est comme l'eau .Nous n'en avons pas manqué , nous , cet été .
    -C'est vrai que l'on s'est beaucoup interrogé sur ce phénomène.Comment as-tu fait ? Tu peux bien me le dire maintenant!
    -Mais je n'ai rien à cacher . Personne ne m'a jamais rien demandé .Avec mon ânesse et son petit , nous sommes allés chercher de l'eau où il y en avait .
    -Tu n'en  as pas manqué , contrairement à la plupart des paysans .
    -Je n'ai pas attendu ta distribution .Je me suis servie toute seule et je n'ai pas considéré les mêmes priorités que toi . Mon premier souci a été de nous fournir à boire à tous les trois . L'ânesse avait besoin d'eau pour allaiter son petit qui , de par son jeune âge , nécessitait également de l'eau pour ne pas se déshydrater. Moi , je suis vieille et j'ai bu et consommé ce dont j'avais besoin . Mais tu as raison ,nous n'en avons pas manqué pour vivre .
    -Mais comment peux-tu considérer des ânes comme prioritaires ?
    -Et tes vaches ? tes veaux ? tes moutons ? tes cochons , tes poules et tes lapins ? tes cultures ? Sont - ils plus importants que les hommes , les femmes et les enfants , enfin , du moins ceux des autres ?   
    -Mais ils assurent la bonne marche de la ferme .
    -La bonne fortune de ta ferme  serait plus juste , et la tienne également . Mais que serait ta ferme sans les paysans qui y travaillent ? Une vaste étendue de terres , beaucoup trop grande pour toi et dont tu ne saurais que faire .
    -Mais j'aime mes paysans . Regarde , aujourd'hui , je les invite  , je les régale ,je m'en occupe .
    -Oui , un peu comme tu prends soin de ton matériel . Ne comprends - tu pas qu'ils te sont nécessaires , indispensables même , comme tes vaches ,tes veaux , tes cochons et tes poules ? Vous faites partie d'un même ensemble , vous êtes les rouages d'un même système . S'ils décidaient de partir , que ferais - tu ? Oui , je sais , tu en trouverais d'autres . Après tout , ce sont des pièces interchangeables , n'est - ce pas ?
    -Tu exagères tout de même !
    -Crois - tu ?
    -Cela a toujours été ainsi . Demande - leur , ils ne sont pas malheureux , pas autant que tu le prétends .
    -Que veux - tu qu'ils répondent ? Ils sont dans le système . Ils n'ont pas les moyens pour penser autre chose . Leur vie est limitée à leur survie . Tout élément différent les perturbe , moi , par exemple .
    -Et que proposes - tu ,toi la grande sage ?
    - Partage .
    -Que je partage quoi ?
    -Ce que tu as .
    -Mais c'est à moi . C'est ce que mes parents , mes grands - parents ,mes ancêtres m'ont légué . C'est ce que je laisserai à mon fils .
Elle désigna l'enfant dans son berceau qui gazouillait en regardant le petit âne près du berceau et en agitant ses petites mains .
    -Tu crois qu'il en a besoin ? C'est toi qui créeras ces besoins chez lui .
    -Cela a toujours été ainsi et ce n'est pas une vieille originale comme toi qui changera quelques chose .
    Le maître était excédé par ces propos que les paysans , dont les conversations s'étaient interrompues , écoutaient . Dieu sait quelles idées cela pourrait leur donner .
    La vieille femme se mit à rire et l'assistance eut l'impression , évidemment fausse , que les deux ânes en faisaient autant .
    -Nous partons . Merci pour le festin . Tu as raison , le monde a toujours tourné de cette façon . Pourquoi cela changerait-il ?
    L'assistance la regarda étonnée ."Le monde tournait ? "Depuis quand ?

Car , bien sûr ,cette histoire se passait il y a très , très longtemps , à une époque obscure où l'on ignorait que la terre tournait  .
Depuis , tout a  changé .
On a fait de nombreuses découvertes , on sait que la terre tourne , on va sur la lune , on voyage en avion , on a des machines , plein de machines .
Et bien sûr , on a changé nos priorités ! Plus de vaches , veaux , cochons , cultures!
Est-ce que par hasard ce serait devenu l'Homme , la Femme  ,l'Enfant , la Nature ?On serait devenu meilleur ? On partagerait et on préserverait ?On prendrait sans dénaturer , juste pour nos besoins ?
On peut toujours rêver , c'est tout ce qui nous reste , et encore quand ce ne sont pas des cauchemars .
Adieu vaches , veau , cochons , poules et lapins . Bonjour usines , multinationales , profits , bénéfices , rentabilité . Bienvenue dans la société de consommation et les grands bonheurs qu'elle offre !!
    Heureusement , il y a longtemps que la vieille femme et ses deux ânes ne sont plus là , pas plus que le maître et son fils , les paysans et leurs familles . Nous n'en sommes que leurs dignes héritiers mais nous n'avons toujours pas compris !

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